Page 8 - La boot dè sau - Cafè Suisse
P. 8

Une  littérature  dialectale  n’a  de  chance  de  survivre  et  de  se
            développer que si elle trouve une écriture codifiée qui réponde à des régies
            grammaticales  et  syntaxiques.  tout  en  admettant  des  variantes  du
            vocabulaire. Sans cela, on tombe dans la fantaisie la plus débridée.
                    Lorsque la chose est possible. il faut garder au mot sa silhouette
            étymologique. Mais faute de signes typographiques adéquats, on est bien
            obligés d’avoir parfois recours à une orthographe purement phonétique.
            Cest vrai, par exemple. pour le son OI traduit par Wa (pwach’: pois; nwar:
            noir;  vwar  :  voir).  Mais  cela  ne  rend  pas  encore  fidèlement  l’aspect
            phonétique  du  mot.  Dans  NOIR,  la  partie  sonore  est  longue  et  peu
            accentuée; dans nwar, la part sonore est brève, très brève même, tandis que
            le R est très marqué (guttural). Impossible de rendre ces nuances par nos
            signes conventionnels.
                    C’est pourquoi la meilleure façon de «mettre le patois en conserve»
            c’est de [enregistrer sur disque ou bande magnétique. C’est ce que font les
            ethnographes pour les langages des peuplades primitives. Qu’on ne voie
            surtout dans ce rapprochement aucune allusion déplaisante... L’intention est
            uniquement de souligner les difficultés de composer une œuvre littéraire en
            patois sans soulever les critiques des linguistes qui se figurent tous que leur
            point de vue est le meilleur.
                    Je suis persuadé que Jean Girardin aurait tout aussi bien pu écrire
            ses contes et ses poèmes en français. C’eût été dommage, car ils auraient
            perdu parfois une bonne part de leur saveur.
                    On ne saurait mieux parler des gens et des choses typiques du
            terroir qu’en employant la langue qui s’y rattache. Comment évoquer le
            Berdjolet autrement qu’en gaumais? Comment, dites-le moi, rendre en
            français ce vers imagé parlant du fléau «erzombant pou mieux r’tchûr su les
            dgîrbes betch’vessîtes»?
                    Nos patois ne seront sauvés de l’oubli que grâce à ceux qui, comme
            Jean Girardin, les cultivent par amour pour les transmettre à des générations
            qui, ne les parlant plus, devront en retrouver le témoignage dans ces écrits
            qui partent du cœur.
                    La  dédicace:  «À  m’  gachon,  l’Vincent»  est,  sur  ce  point,  fort
            significative.

                                                               Armand Braibant
   3   4   5   6   7   8   9   10   11   12   13