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Lucien Rossignon

Né le 25 octobre 1891
Décédé le 28 avril 1976

 L Rossignon

  Évocation par Jean-Pierre Monhonval - 1994.     

Les grands feux
Quand Lucien Rossignon (Halanzy) racontait les «Bûles»


    Il est des gens qui, à leur façon, marquent une génération. On retient d’eux davantage le côté bon vivant, leur convivialité et en général leurs qualités que leurs défauts ou faiblesses.
    A Halanzy, Lucien Rossignon n’a laissé que de bons souvenirs. Soit les traces d’un homme qui aimait la vie, les gens et leurs traditions. Portrait et mémoire du temps des «grands feux», les bûles de carême.

    Lucien Rossignon fut de ceux que la plume, comme la muse, a aimé taquiner. Il aimait écrire. Il adorait s’épancher sur la feuille blanche, raconter ses histoires et ses aventures, celles de son village et de sa région.

La rage d’écrire
    Notre homme s’est répandu en écritures amusées et perçantes dans les Nouvelles d’Arlon (Habaru), La Meuse (Arlon), l’Avenir du Luxembourg (Arlon), l’Écho de La Roche, le Journal d’Athus, la Dryade, le Longovicien, les Cahiers ardennais et ceux de l’Usine de Rehon. Pendant les mois de déportation, il a écrit également pour le Journal de Limoges et pour la Dépêche de Toulouse. Excusez du peu.

    Il aimait écrire, il adorait raconter et mettre en scène. Lucien Rossignon a écrit également pour les revues locales halanzinoises, en collaboration avec son fils Auguste Rossignon. Les deux comparses donnèrent un piment extraordinaire à la petite histoire villageoise. Lucien fut décoré de la résistance et de l’usine de Rehon. A 75 ans, il fut honoré de la rosette d’officier au titre du dévouement artistique.
    C’est le genre d’homme qu’on n’oublie pas, ni lui, ni ses histoires.

Les bûles, des feux de joie
    Les anciennes coutumes du pays gaumais ont été recensées et admirablement décrites par Lucien Rossignon. Il pratiquait la mise en forme de ses recueils un peu à l’image d’Edmond Fouss, conservateur du Musée gaumais. Mais son musée, c’était chez lui, dans sa tête et dans son coeur. Lucien Rossignon a ainsi raconté les veillées, la retraite au couvre-feu, le battage des céréales au fléau, l’aubade de la Saint-Panseau devant les jeunes mariés, la course aux filles le lendemain de Noël, la rafourâye, la hardelâye et les bûles ou feux de joie. A Musson, ceux-ci avaient lieu le jour de la quadragésime, soit le premier dimanche du carême.
    —    Aussitôt après la vêprée, gamins et adolescents allaient solliciter les cultivateurs afin de recueillir des bottes de paille qu’ils transportaient au lieu désigné, un endroit qui changeait chaque année. Avant l’allumage du feu, le plus hardi de l’équipe avait le corps, les bras et les jambes enveloppés de paille. C’est lui qui allumait le feu et qui tenait le rôle du sorcier, tournant, dansant autour du brasier, invitant les spectateurs à l’accompagner. A la fin, le maître de cérémonie se chargeait bien d’attraper quelques jeunes spectateurs et de leur noircir le visage comme des nègres. Si bien que beaucoup rentraient au village méconnaissables. On avait fait les «bûles». Pas question d’une quelconque punition.

Avec des fagots, des rondins et des bûches
    Lucien Rossignon rappela souvent qu’à son idée, les dernières bûles avaient eu lieu à Musson, en 1914. Il avait alors 23 ans. Il précise qu’une année, le rendez-vous avait lieu à l’est du village et l’année suivante à l’ouest, selon l’accord tacite passé entre les quartiers du patelin.
    —    L’après-midi de la quadragésime, les gamins ramassaient de la paille, des fagots, des rondins, des bûches chez les cultivateurs. En cas de besoin, il y avait près du four banal, un immense tas de fascines – dues par les affouagers – avec quoi le fournier chauffait la sole du four moyenâgeux.
    D’habitude, le maître jeune homme, bien au courant du cérémonial, allumait rituellement le monticule inflammable. Et bientôt, les rondes enfantines s’ébranlaient, main dans la main, et reprenaient à l’unisson les comptines apprises à l’école ou à la maison : sur le pont d’Avignon, oh mon beau château, il était un petit navire, c’était une bergère, etc. A l’abri d’une haie, les vieux et les sages buvaient la goutte et fumaient la pipe, tout en revoyant le temps de leurs bûles d’autrefois. Et autour du grand feu, en s’envoyant des apostrophes, on annonçait des fiançailles et même des épousailles. On corsait évidemment l’affaire, en évoquant les potins du village.
    —    C’est l’Tchofile don Thomas ave la Guérite don Noré.
    Et toute la population se rassemblait sur la place où était dressé le bûcher. Quand la bûle s’écroulait, quelques jeunes gens essayaient de la sauter, sous les applaudissements. Du folklore authentique. C’était l’histoire de chez nous. Les bûles de carême. C’était dans le temps, c’était l’annonce du printemps.

    Jean-Pierre Monhonval
    In Luxembourg Tourisme, N° 113, 1994, pp.4-5.

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