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La lettre du mobilisé
            (un souvenir parmi tant d’autres de la trop longue mobilisation
            de 1938 à 1940)

            J’ai bien reçu votre missive
            Et j’y réponds de quelque part
            Ousqu’on s’tient sur la défensive
            Toujours, depuis notre départ.
            D’abord merci, car vos grandes feuilles
            M’ont bien servi; l’papier est rare
            C’est plus commode que d’autres feuilles
            Chaque’fois qu’on s’en va quelque part.


            Pour ça, mes chers, je m’tiens l’corps libre.
            Quand j’sens qu’ça n’va pas quelque part,
            Je m’soigne pour me r’mettre d’équilibre
            Et du rata, je r’mange deux parts.
            A propos j’ai bien r’çu l’colis
            Les pommes, le beurre et l’morceau d’lard.
            Mais comme j’ai quelques bons amis
            J’leur z’y en ai r’mis quelque part.


            On est souvent à dauripette
            Mais on est toujours quelque part
            Près des chicanes ousqu’on embête
            Les espions et les clochards.
            Pour les corvées, comme j’ai bon cœur
            J’suis souvent pris, j’suis un veinard
            Tandis qu’il y a des ronchonneurs
            Qui se barrent toujours quelque part.

            J’ignore le souci d’la mitraille
            Mais depuis qu’nous sommes autre part
            Et que j’passe les nuits sur la paille



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