Évocation par Jean-Pierre Monhonval -
1994.
Les grands
feux
Quand
Lucien
Rossignon (Halanzy) racontait les «Bûles»
Il est des gens qui, à leur façon,
marquent une génération. On retient d’eux davantage le côté
bon vivant, leur convivialité et en général leurs qualités
que leurs défauts ou faiblesses.
A Halanzy, Lucien Rossignon n’a laissé
que de bons souvenirs. Soit les traces d’un homme qui aimait
la vie, les gens et leurs traditions. Portrait et mémoire du
temps des «grands feux», les bûles de carême.
Lucien Rossignon fut de ceux que la
plume, comme la muse, a aimé taquiner. Il aimait écrire. Il
adorait s’épancher sur la feuille blanche, raconter ses
histoires et ses aventures, celles de son village et de sa
région.
La rage d’écrire
Notre homme s’est répandu en écritures
amusées et perçantes dans les Nouvelles d’Arlon
(Habaru), La Meuse (Arlon), l’Avenir du
Luxembourg (Arlon), l’Écho de La Roche, le Journal
d’Athus, la Dryade, le Longovicien,
les Cahiers ardennais et ceux de l’Usine de
Rehon. Pendant les mois de déportation, il a écrit
également pour le Journal de Limoges et pour la Dépêche
de Toulouse. Excusez du peu.
Il aimait écrire, il adorait raconter et
mettre en scène. Lucien Rossignon a écrit également pour les
revues locales halanzinoises, en collaboration avec son fils
Auguste Rossignon. Les deux comparses donnèrent un piment
extraordinaire à la petite histoire villageoise. Lucien fut
décoré de la résistance et de l’usine de Rehon. A 75 ans, il
fut honoré de la rosette d’officier au titre du dévouement
artistique.
C’est le genre d’homme qu’on n’oublie
pas, ni lui, ni ses histoires.
Les bûles, des feux de joie
Les anciennes coutumes du pays gaumais
ont été recensées et admirablement décrites par Lucien
Rossignon. Il pratiquait la mise en forme de ses recueils un
peu à l’image d’Edmond Fouss, conservateur du Musée gaumais.
Mais son musée, c’était chez lui, dans sa tête et dans son
coeur. Lucien Rossignon a ainsi raconté les veillées, la
retraite au couvre-feu, le battage des céréales au fléau,
l’aubade de la Saint-Panseau devant les jeunes mariés, la
course aux filles le lendemain de Noël, la rafourâye, la
hardelâye et les bûles ou feux de joie. A Musson, ceux-ci
avaient lieu le jour de la quadragésime, soit le premier
dimanche du carême.
— Aussitôt après la
vêprée, gamins et adolescents allaient solliciter les
cultivateurs afin de recueillir des bottes de paille qu’ils
transportaient au lieu désigné, un endroit qui changeait
chaque année. Avant l’allumage du feu, le plus hardi de
l’équipe avait le corps, les bras et les jambes enveloppés
de paille. C’est lui qui allumait le feu et qui tenait le
rôle du sorcier, tournant, dansant autour du brasier,
invitant les spectateurs à l’accompagner. A la fin, le
maître de cérémonie se chargeait bien d’attraper quelques
jeunes spectateurs et de leur noircir le visage comme des
nègres. Si bien que beaucoup rentraient au village
méconnaissables. On avait fait les «bûles». Pas question
d’une quelconque punition.
Avec des fagots, des rondins et des bûches
Lucien Rossignon rappela souvent qu’à son
idée, les dernières bûles avaient eu lieu à Musson, en 1914.
Il avait alors 23 ans. Il précise qu’une année, le
rendez-vous avait lieu à l’est du village et l’année
suivante à l’ouest, selon l’accord tacite passé entre les
quartiers du patelin.
— L’après-midi de
la quadragésime, les gamins ramassaient de la paille, des
fagots, des rondins, des bûches chez les cultivateurs. En
cas de besoin, il y avait près du four banal, un immense
tas de fascines – dues par les affouagers – avec quoi le
fournier chauffait la sole du four moyenâgeux.
D’habitude, le maître jeune homme, bien
au courant du cérémonial, allumait rituellement le monticule
inflammable. Et bientôt, les rondes enfantines
s’ébranlaient, main dans la main, et reprenaient à l’unisson
les comptines apprises à l’école ou à la maison : sur le
pont d’Avignon, oh mon beau château, il était un petit
navire, c’était une bergère, etc. A l’abri d’une haie, les
vieux et les sages buvaient la goutte et fumaient la pipe,
tout en revoyant le temps de leurs bûles d’autrefois. Et
autour du grand feu, en s’envoyant des apostrophes, on
annonçait des fiançailles et même des épousailles. On
corsait évidemment l’affaire, en évoquant les potins du
village.
— C’est l’Tchofile
don Thomas ave la Guérite don Noré.
Et toute la population se rassemblait sur
la place où était dressé le bûcher. Quand la bûle
s’écroulait, quelques jeunes gens essayaient de la sauter,
sous les applaudissements. Du folklore authentique. C’était
l’histoire de chez nous. Les bûles de carême. C’était dans
le temps, c’était l’annonce du printemps.
Jean-Pierre
Monhonval
In
Luxembourg Tourisme, N° 113, 1994, pp.4-5.
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