Le
Noël
de Paul
Paul
s’était assis au coin du feu. Un âtre, comme autrefois, où
les flammes taquinaient deux bûches en croix. Un panier
d’osier proposait quelques morceaux de bois de réserve. Il
ne faisait pas très chaud, dans cette pièce trop haute de
plafond et à la fenêtre au vitrage simple, à la boiserie
proche du vermoulu.
La neige ne s’annonçait pas pour tout de suite. Le gel la remplaçait, enrobant de givre les branches des arbres et les treillis des grilles du vieux château. Il avait aussi dessiné des figures de glace, en fines pellicules, sur les carreaux déjà tout gris. Ce soir, c’était Noël. Mais pour Paul, il n’y avait plus de Noël depuis deux ans. La misère. Depuis ce jour où l’accident lui avait retiré la parole. Il avait fallu opérer d’urgence, suite au coup reçu de plein fouet sur la pomme d’Adam. Trachéotomie. Définitive. Un copain avait apporté à Paul de quoi «réveillonner» au coin du feu. Deux bouteilles de vin. Du bon, pas du picrate à un euro. Il avait mis le tire-bouchon dans le panier, avec quelques toasts au saumon, un peu d’œufs de lompes, caviar du pauvre, et il y avait même ajouté du foie gras. Du vrai, avait précisé le copain. À manger avec le vin blanc. Le fromage, à déguster avec le vieux bourgogne, à la fin. À la fin… La fin des fins… Dans cette «petite» salle du château qu’il squattait, il avait amené tous ses anciens partenaires. Tous les douze. Il avait ouvert les valises et les avait disposés en arc de cercle de manière à voir chacund’eux. Mais aussi pour qu’ils puissent le voir lui. Ce soir de Noël, il allait leur parler pour la dernière fois, avec cette voix de mirliton qui passe par ce petit dispositif qui permet de se faire comprendre puisque la bouche ne veut plus émettre de vrai son. Il déboucha le vin blanc, s’en versa un verre. Pas un verre de gourmand, mais juste ce qu’il faut pour que le parfum du vin se dégage sous les narines, que le bouquet excite déjà l’envie de la langue et du palais… Puis il se leva, et vint s’appuyer à la table qu’il avait repoussée sur le côté et où il avait disposé les victuailles dans l’ordre… «Mes Amis», commença-t-il, «Noël va de nouveau nous passer sous le nez. Bien sûr, ce n’est pas le premier. Mais ce sera le dernier.» ... |
El
Paul à Nawé
El
Paul atout assis au coin don fû à l’âte, coumme das
l’taps. Gn’avout toulà n’banne aveu deux trois gros tchus
d’ bos. I n’ fayout- m’ tchaud, aveu l’plafond bin trop
haut èt la f’nîte à simpes cârreaux èt toute brènie.
On n’annonçout pont d’ neidge pour tout d’chûte. Mâs la djalâye avout mins in pal’tot d’gîve aux brantches des âbes èt au treillis don portâl don vî tchatî. Elle avout fât des barbouilladges dè glace su les cârreaux tout gris. On s’prèparout pou la nûti d’ Nawé. Mâs, pou l’ Paul, i g’navout pus d’ Nawé dèdpûs deux annâyes. La misîre. Dèdpûs l’djou d’ l’accident qui li avout r’tèré la parole. Il avout follu l’opèrer das l’urdgence à cause don côp qu’il avout ramassi su la glotte. Eune trachèotomie. Pou d’bon. In copain, èl Djâques, avout amoûné pou l’ Paul dè quoi rèveillounner au coin don fû. Deux boutèles dè vin. Don bon, mi d’ la piquette à in euro. Il avout mins l’tère-boûtchon das l’ pani, aveu deux trois toasts au saumon, des us d’ lompes (èl caviar don pauve, coumme on dit) èt il avout mîme mins don foie grâs pas d’zus l’ martchi. Don vrâ, qu’il avout dit l’copain. A dèguster aveu l’ vin blanc. Et pûs, l’ froumatche, à mîdgi aveu l’ vî bourgogne, à la fin. À la fin... Oï, la fin des fins... Das la belle tchambe don tchatî où c’ qu’i s’avout foûrré pa in huche mau froumâye, il avout amoûné tous ses anciens partènaires. I-n’n’avout douze. Il avout douvî les valises èt les avout arrandgis en arc dè cerquepou les voir tourtous, èt pou qu’i p’linche èl voir ètou. À la nûti d’ Nawé, i v’lout lous-y causer pou l’dârin côp, aveu sa p’tite voix d’ mirliton à cause don p’tit machin qui lî fayoutt fâre crance, pusqu’i n’savout pu causer aveu n’vraie voix. Il è déboûtchi la boutèle dè blanc èt s’an è vûdi in vère. Mi in vère dè pansard, mâs djusse assez pou node la nodeur qui monte aux narines, èl bouquet qui baye d’jà envie à la langue dè lamper tafât... Pûs i s’è l’vé èt il est v’nu près d’ la taule qu’i-l avout r’poûssi su l’coté pour y mette la boustifaille bin en oûrde. «Mes amis», qu’il è dit, «Nawé va co nous passer pa d’zouz l’nez. Oh bin sûr, cè n’èst-m’ èl preumi. Mâs ça s’rait l’dârin»... |