Page 9 - Odeur des risons
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Préface
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                Il y a des régions, et elles n’ont rien à voir avec la politique.
                De Gaulle l’a appris à ses dépens, ses successeurs pourraient bien un
            jour avoir affaire à leur tour à des Bretons ou à des Corses révoltés, pour
            n’avoir  pas  compris  que  la  centralisation  –  synonyme,  trop  souvent,
            d’exploitation – doit reculer et faire place au développement original de
            chaque région.
                Changer de pays ne fait rien à l’affaire, sinon, peut-être, la compliquer.
            On est en Belgique, que diable!
                Par décision de nos gouvernants, nous, Gaumais, sommes Wallons. Des
            Wallons du «fin fond» du pays. Autrement dit : pauvres parmi les pauvres.
            Pareille mise à l’écart ne nous satisfait pas : et sur le plan de l’économie et
            sur celui de la géographie. En outre, c’est méconnaître notre particularisme
            linguistique. Gaumais, nous parlons un dialecte lorrain. Comme tels, notre
            pôle d’attraction linguistique est Nancy, non Liège ou Namur.
                Le  parler  gaumais,  qui  le  pratique  encore?  Poser  la  question,  c’est
            admettre qu’il se trouve encore des gens pour s’exprimer en gaumais. Des
            vieux, certes, mais aussi des jeunes. Finie l’époque ou l’on évacuait le patois
            des écoles, au nom de la supériorité du français. Si supériorité il y a, elle
            n’est pas linguistique, mais historique. Parler patois écartait des emplois, et
            si Paris vaut bien une messe, devenir employé valait bien que l’on troquât
            le pouchlon pour le porc.
                Une renaissance des patois se développe: il faut la soutenir. Sous ce
            rapport, il convient de saluer Jean Girardin qui nous propose un recueil de
            poèmes digne de la plus grande attention.
                Que ce soit par formation professionnelle ou pour toute autre raison,
            je me méfie toujours de ce qu’on appelle généreusement du nom de «poème
            en patois». Trop souvent on n’y évite pas le piège (pourtant facile à déceler)
            qui consiste à aligner des vers sans autre pouvoir poétique que celui de
            l’évocation du passé. Ce sont des auberges espagnoles : ils n’ont d’autre
            richesse que celle que le lecteur leur apporte. Rappeler les temps révolus
            suffit à émouvoir certains. La poésie alors ne réside pas dans l’arrangement
            des mots ou leur choix, ou encore dans la musique ou le rythme, mais dans
            la faculté qu’a le passé de nous faire rêver. L’auteur n’y est pour rien. De
            même, on voit des gens persuadés d’aimer la peinture parce qu’ils ont
            reconnu sur la toile une mise au tombeau, un compotier ou le clocher de
            leur village.
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